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Adeline Fleury

“La jouissance féminine mérite d’être célébrée”.

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l y a neuf ans, Adeline Fleury marquait les esprits avec son “Petit éloge de la jouissance féminine”, un livre audacieux et précurseur sur un sujet longtemps délaissé. Il est reparu, après la déflagration #MeToo, pour nous rappeler que plaisir et liberté sont indissociables. L’occasion est belle de questionner l’auteur sur l’évolution récente du rapport hommes-femmes.

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Ce « Petit éloge de la jouissance féminine », initialement paru en 2015 ressort avec un avant-propos et un post-propos dans lesquels vous regardez avec du recul les mots contenus dans les éditions précédentes. D’où est venu le besoin de faire reparaître ce texte ?

Adeline Fleury : Le sujet me semble intemporel, infini. La jouissance féminine et le corps féminin méritent d’être célébrés, aujourd’hui, hier, demain et dans cinquante ans. Plus encore que celui des hommes, le désir des femmes est bien plus complexe qu’il n’y paraît, il n’est pas lisse, il fluctue selon les étapes d’une vie. C’est pourquoi la féminité, celle que je qualifie d’absolue, se construit sur le long terme, le corps change oui, et avec lui le rapport qu’on entretient avec lui. Ados, jeunes filles, jeunes adultes, mères, épouses, amantes, femmes matures… toutes se questionnent constamment sur le corps et donc sur la sexualité, avec des moments d’épanouissement, de blocage, de boulimie, d’abstinence. C’est tout ça que j’ai envie de célébrer. De façon plus personnel, l’avant-propos et le post-propos écrits en 2021 questionnent aussi la femme que j’étais en 2015, celle qui vivait avec intensité un bouleversement dans sa chair. Je ne renie rien de cette femme vibrante, en pleine métamorphose, car c’est cette “Adèle” qui fait qu’aujourd’hui je suis une femme plus réfléchie, plus nuancée, moins à fleur de coeur, de chair et de peau. Beaucoup plus solide, plus “construite”. C’est l’ensemble de ce processus que contient cette édition augmentée.

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Dans ces deux apports supplémentaires, vous questionnez la déflagration #MeToo et aussi une part du féminisme. Où en sommes-nous, selon-vous, dans les rapports hommes-femmes ?

Adeline Fleury : Les rapports hommes-femmes ont-ils vraiment changé ? Je me pose la question au quotidien. Je crois qu’il existe un paradoxe, d’un côté les hommes se sont vraiment remis en question et se sont interrogés sur leur façon de se comporter avec les femmes : ont-ils dans leur parcours pousser le curseur de la drague un peu trop loin ? Ont-ils toujours été vraiment “galants” ? Grâce à des livres comme celui de Vanessa Springora ou de Loulou Robert sur le sujet, de la chanson d’Angèle “Balance ton quoi”, la notion de consentement, qui est essentielle, s’est invitée dans les médias et, je crois, a débouché sur une prise de conscience chez les hommes, surtout sur les plus jeunes, et c’est une très bonne chose. Les plus mûrs ont peut-être plus de mal à effectuer ce travail de remise en question. Mais d’un autre côté, les chiffres de la violence faites aux femmes montrent qu’il y a encore du boulot, c’est effroyable ! Les hommes ont un accès plus immédiat à la jouissance et à la liberté, alors que les femmes doivent la conquérir.

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Quel regard portez-vous sur l’émergence d’une plus grande fluidité sexuelle ? Cela vient-il aussi de la conquête de la jouissance réelle par les femmes ?

Adeline Fleury : Cette révolution sociétale des rapports hommes-femmes doit s’accompagner d’une révolution de l’intime. La séduction ne doit pas disparaître une fois le consentement éclairé. L’intime doit se vivre dans la fluidité, le corps doit être politique pour faire avancer les choses mais dans l’intimité, ce qui se joue entre un homme et une femme, une femme et une femme, un homme et un homme, n’est pas politique. Ça peut être léger, ça peut être un jeu, ça peut être passionné, ça peut être sublime.

Les femmes (surtout celles de ma génération, entre deux âges, entre deux formes de féminisme) doivent se libérer de double injonction suivante (qui m’a longtemps empêchée de m’épanouir sexuellement) : est-ce que je me soumets au patriarcat quand je me laisse dominer par un homme? Est-ce que je suis une traître à la cause féministe ? C’est très confusant. Je ne pense pas que les hommes se posent autant de questions donc ils ont un accès plus immédiat à la jouissance et à la liberté, alors que les femmes doivent la conquérir.

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L’égalité est en marche. Au-delà de l’égalité dans la jouissance et le plaisir, comment les hommes et les femmes peuvent conquérir l’égalité dans leurs rapports sexuels, mais aussi d’individus ?

Adeline Fleury : En échangeant, en écoutant l’autre. Je ne suis pas pour un féminisme excluant l’homme dans la réflexion, je me sens proche d’un féminisme incluant, en s’éduquant mutuellement, en arrêtant de s’envisager comme “victimes” d’un côté et “bourreaux” de l’autre, en mettant de la nuance dans nos échanges. Nous ne sommes pas des ennemis, les hommes ont tout à gagner en nous écoutant. Nous ne sommes pas leurs éducatrices, mais nous sommes leurs alliées.

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