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Rencontre avec cet auteur qui aime plus que tout s’amuser avec l’Histoire pour y insérer de la fiction.
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Laurent Binet : Je pense que c’est la découverte de Giorgio Vasari qui m’a conduit à l’écriture de Perspective(s) : à Florence, on ne peut pas voir un tableau sans trouver dessous une citation de Vasari. Vasari était un peintre et un architecte mais il est surtout passé à la postérité en tant qu’auteur de ses Vies des peintres, c’est-à-dire en tant que commentateur, et c’est en cela qu’il m’intéressait. A au moins deux niveaux en fait : d’abord parce que sa posture de commentateur situait ses propos dans le registre du méta-discours, ce qui m’a toujours intéressé (par déformation professionnelle puisque j’ai été enseignant) depuis Barthes.
Et puis aussi, à un niveau plus pragmatique, parce que si jamais je voulais bâtir une intrigue dans ce milieu des peintres, Vasari me fournirait une source d’information précieuse pour comprendre et camper mes personnages, Michel-Ange, Pontormo, Bronzino, Cellini… Ses Vies des peintres sont vite devenues une bible pour moi, auxquelles je me référais sans arrêt. D’ailleurs, si vous lisez le chapitre qu’il consacre à Pontormo, vous verrez que je l’ai pillé sans vergogne pour en extraire de nombreuses citations que j’ai insérées dans mon texte.
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Laurent Binet : Justement, je me suis appuyé sur les véritables écrits de mes principaux personnages : Vasari, donc, mais aussi Michel-Ange qui a laissé une correspondance abondante, Pontormo dont on a retrouvé un étrange petit journal qui raconte sa vie quotidienne dans les deux dernières années de sa vie ou encore Cellini qui a laissé des Mémoires dignes de ceux de Casanova… En truffant de citations authentiques mes lettres fictives, je me garantissais une justesse de ton qu’on pouvait ainsi difficilement contester. A charge pour moi de rendre les coutures invisibles entre les propos authentiques de ces personnages et ceux, fictifs, que je leur ajoutais.
Par ailleurs, j’ai aussi raisonné par couples de personnages pour accuser les contrastes : Catherine de Médicis vs Maria de Médicis, calquées sur la relation Merteuil/Cécile Volanges, ou bien encore Pontormo vs Bronzino, inspiré des personnages de Molière Alceste et Philinte dans le Misanthrope.
Les situations ont aussi dicté la tonalité stylistique à certains moments de l’intrigue : quand Maria de Médicis se sent abandonnée par son amant, le jeune page Malatesta, elle écrit comme la religieuse portugaise de Guilleragues. Alors que lorsqu’ils s’enfuient ensemble, elle raconte leur fugue comme une nouvelle du Decameron de Boccace.
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Laurent Binet : La question des rapports entre fiction et réel est toujours importante pour moi ; elle est même centrale. Le traitement de ces rapports diffère grandement d’un roman à l’autre depuis HHhH. Ici, nous sommes dans un schéma à la Alexandre Dumas : on s’insère dans les blancs de l’histoire, sans bousculer cette dernière. Tous les événements historiques, connus ou moins connus, tous les éléments biographiques des personnages sont à leur place. Cette histoire fictive d’assassinat de peintre et de complot anti-Médicis aurait pu avoir lieu réellement, sans qu’on ait besoin de tordre l’Histoire.
Mais ce qui est capital pour moi, c’est que le pacte de lecture soit clair. Je ne veux pas faire croire que cette histoire est vraie, comme je ne voulais pas faire croire que Barthes avait été assassiné, ni que les Incas avaient envahi l’Europe. A l’inverse, dans HHhH, je tenais à souligner qu’il s’agissait d’une histoire vraie, puisque c’est justement le fait qu’elle soit vraie, qu’elle soit réellement advenue, qui me fascinait autant.
Ici, c’est ma fausse préface à la Stendhal qui prend en charge le pacte de lecture, en reprenant la convention de tous les romans épistolaires : le narrateur prétend avoir retrouvé par hasard dans un vieux coffre une liasse de correspondance, qu’il a traduite et qu’il offre à la curiosité du public, etc.
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Laurent Binet : Non, pas particulièrement, parce qu’on ne parlait pas encore de ces réécritures quand j’écrivais mon livre, mais il est difficile de ne pas faire un parallèle entre les deux situations. C’est assez troublant et tout à fait décourageant. L’Histoire est la seule véritable tragédie.
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Laurent Binet : Presque quatre ans, durant lesquels j’ai lu sans doute une bonne centaine de livres, sur la Renaissance, la peinture italienne, les lois de la Perspective, mais aussi de nombreux romans épistolaires… Cela allait de Machiavel, Boccace, Castiglione à Erwin Panovski en passant par Laclos, Rousseau, Richardson, Stendhal, Musset, mais aussi Thomas Mann qui a écrit une pièce de jeunesse sur la mort de Laurent le Magnifique, qui m’a fourni une idée pour ce qui est devenu un indice capital dans mon enquête policière. Quand je me documente, je lis vraiment tout ce que je peux, même ce qui semble n’avoir qu’un rapport lointain avec mon sujet.
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Laurent Binet : C’est une bonne question. Mes personnages dans mes romans sont presque toujours des personnages ayant réellement existé : même si je peux chercher à les comprendre et si je m’identifie parfois à certains d’entre eux, je ne suis pas eux et je ne me sens pas eux.
Mais le dispositif épistolaire de Perspective(s) m’a davantage contraint à me mettre à leur place. Je l’ai ressenti particulièrement avec le personnage de Naldini par exemple, celui qui incarne la voie individualiste, arriviste, égoïste et sans scrupule : lorsque, pour se justifier de sa conduite, il écrit une lettre à l’ouvrier qui incarne l’inverse, la voie du collectif, du courage politique et de l’intégrité, eh bien en écrivant cette lettre, je me suis rendu compte que je comprenais parfaitement ses motivations et comment il en était arrivé là, et que sans doute j’aurais pu faire pareil à sa place. A l’arrivée, je trouve cette lettre sinon complètement convaincante, du moins assez éloquente. C’est que là, je me suis vraiment vu à sa place.
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Laurent Binet : Dans HHhH, je disais que l’Histoire était la seule véritable tragédie parce qu’on ne peut pas la réécrire. En fait, on peut bien sûr, mais ça ne change rien ! Ce qui est fait est fait, on ne peut pas retourner en arrière. De tous les mondes possibles, nous ne connaissons et nous ne connaitrons que celui-là. Il y a des milliards de mondes possibles mais un seul monde réel et c’est le nôtre.
C’est à la fois terrifiant et fascinant. Et ça ne nous empêche pas de rêver à ce qui aurait pu être, mais la certitude absolue que ces mondes ne serons pas n’est pas sans accentuer notre propension naturelle à la mélancolie…
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Laurent Binet : Sans doute la Renaissance, puisque je lui ai consacré deux romans, soit la moitié de mon œuvre.
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Laurent Binet : Je ne sais pas, ces derniers temps, je me suis intéressé à la Révolution française et à la Grèce. On verra si ça débouche sur quelque chose, mais je ne suis pas de ces auteurs qui cherchent un sujet. Je laisse venir.
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Laurent Binet : Je me souviens de mon premier choc poétique : La Liberté ou l’Amour, de Robert Desnos.
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Laurent Binet : A 20 ans, je répondais « parce que c’est facile » à cette question. Finalement, je trouve ça assez compliqué en réalité !
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Laurent Binet : Disons le Manifeste du Parti communiste.
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Laurent Binet : Antigone, d’Anouilh (assez bizarrement).
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Laurent Binet : Les Enfants des jours, d’Eduardo Galeano, fantastique écrivain uruguayen mort il y a quelques années.
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